Religions, spiritualité, ésotérisme / Christianisme
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Jacques Ellul

Théologie et technique, pour une éthique de la non-puissance

Éditeur
Labor et Fides
Année
2014
Ean
9782830915211
Présentation

Jacques Ellul (1912-1994) fut à la fois théologien protestant et sociologue, et si son nom continue d’être régulièrement cité, c’est avant tout pour ses deux grands ouvrages consacrés à la technique qui continuent de faire référence, La Technique ou l’enjeu du siècle (1954), et Le Système technicien (1977). Avec ces deux livres qui dénonçaient non pas la technique elle-même, mais l’emprise illimitée du système technique sur notre monde, Ellul figure parmi les trop rares penseurs du XXe siècle qui ont pris l’essor de la technique philosophiquement au sérieux. Refusant, comme Heidegger, de considérer que la technique est un simple outil neutre, mais dont on pourrait faire bon ou mauvais usage, Ellul a toujours insisté sur le fait qu’elle constituait un système, c’est-à-dire un ensemble qui s’auto-accroissait de manière autonome et qui constituait désormais une réalité (la réalité) à laquelle l’homme devait s’adapter. Il ne faut donc pas confondre les techniques, dont on peut faire un usage individuel, et la technique, qui est devenue notre mode de vie, ou notre «milieu», qui s’est désormais substitué à notre milieu naturel. Les Editions Labor et Fides de Genève ont eu la bonne idée de réunir sous le titre Théologie et Technique un manuscrit inédit, composé en partie de documents préparatoires à un livre que projetait Ellul, et en partie d’extraits de ce livre lui-même. L’originalité du livre tient à son projet même: conjoindre en un seul souffle la réflexion théologique et la réflexion sociologique sur la technique, deux domaines de compétence qu’Ellul tenait séparés, et en déduire une «éthique de la non-puissance». Ellul en profite pour attaquer au passage plusieurs courants théologiques contemporains, qu’il range dans trois groupes: ceux qui font de la technique, on l’a dit, un outil neutre; ceux qui en font une manifestation satanique, quelque chose de mal en soi; ceux qui la considèrent comme issue de la volonté de Dieu, donnée à l’homme pour parachever son œuvre. Quelles que soient leurs divergences, toutes ces approches manquent quelque chose d’essentiel du rapport de l’homme à la technique, et qu’Ellul explicite à partir de sa lecture de la Bible. Et c’est à partir de sa lecture du Sabbat qu’Ellul nous livre le cœur de son message sur la technique. Car le Sabbat est «la suspension non pas seulement du travail humain, en tant qu’asservissement, mais aussi la suspension de tous les usages techniques, la suppression de la recherche d’efficacité, le retour vers l’adoration et la contemplation». Et plus loin: «Le Sabbat est la possibilité pour l’homme de suspendre son obsession technicienne.» C’est à partir de cette suspension que la technique (comme le travail, d’ailleurs) peut acquérir son sens proprement humain; sans ce nécessaire recul, travail et technique ne sont que des nécessités aveugles et naturelles, tout à l’opposé de l’idée divine de Création. Il vaut la peine de citer plus longuement: il faut poser «l’exigence de la levée de la Technique un jour sur sept, de l’acceptation d’un temps non technique, d’un abandon de toute technique; c’est à partir de cet abandon, et de rien d’autre, que la Technique est validée: «Il faut bien, par nécessité, que tu emploies la Technique, tu ne peux pas faire autrement, sans cela tu rétrograderais à l’animal, ou tu cesserais simplement de pouvoir vivre, mais apprends à ne la voir que comme une dure et pénible nécessité, n’en fais ni ta joie, ni ton espérance, ni ta valeur, ni ta vérité, ni ta force, ni ta sécurité… Si tu fais cela, alors elle devient mortelle et destructrice.» Voilà exactement ce que dit l’institution du Sabbat.» En termes plus laïcs, cela veut dire: instaurer une éthique de la non-puissance, c’est-à-dire «que l’homme accepte de ne pas faire tout ce qu’il pourrait». Cela implique, au niveau personnel, de faire un usage modéré des techniques, et au niveau institutionnel de renoncer au culte de la concurrence et de l’efficacité à tout prix – autrement dit, dans les deux cas, de poser des limites. La difficulté – et Ellul était trop au fait de ces questions pour l’ignorer –, c’est que sa définition de la Technique comme un système complet est par elle-même en contradiction avec l’idée de lui imposer des limites, sauf à se référer à quelque chose d’extérieur à notre monde, en l’occurrence une théologie de la Création. L’invocation de cet extérieur théologique est la thèse même d’Ellul – sa force en même temps que son irrémédiable faiblesse.