Saint Augustin
Les aveux
- Éditeur
- Pol
- Année
- 2008
- Ean
- 9782846822251
Présentation
Heureux lecteur, toi qui vas découvrir cette nouvelle traduction des Confessions de saint Augustin, rebaptisées pour l'occasion Les Aveux! Heureux, toi qui ne les as jamais lues, et qui vas les découvrir d'un oeil aussi neuf que leurs lecteurs de l'époque, estomaqués de tant d'audaces littéraires! Mais plus heureux encore, toi qui les as déjà lues, sans doute dans les traductions appliquées de tel latiniste érudit, et qui vas les relire comme tu ne les as jamais lues! Car tu te diras alors que tu ne les as jamais lues, ces Confessions, jamais lus, ces Aveux d'une âme qui s'adresse à Dieu pour mieux s'interpeller elle-même, faisant fi des convenances langagières et ignorant tout du biographiquement correct, délivrant son tumulte de pensées vautrées dans la fange pour davantage en appeler au Seigneur immense. On a oublié combien le texte de saint Augustin (354-430) était neuf à l'époque où il fut écrit, mais ce génial traducteur qu'est Frédéric Boyer nous le fait sentir à chaque ligne. Mille exemples pourraient l'illustrer, en voici un. Le jeune Augustin vient de perdre son ami d'adolescence, son inséparable ami, connu dans sa ville natale de Thagaste, dans l'Algérie actuelle. La mort vient de frapper, et voici ce qu'en dit une traduction désormais obsolète (celle de Garnier-Flammarion): «La douleur que j'en ressentis enténébra mon coeur. Tout ce que je voyais n'était que mort. La patrie m'était un supplice, la maison paternelle un lieu d'étrange infortune. Tout ce que j'avais mis en commun avec lui, sans lui se changeait en un cruel tourment. Mes yeux le demandaient partout, et il leur était refusé.» Et voici le texte ressuscité de ses poussières par Frédéric Boyer: «Cette douleur a noirci mon coeur. »Dans tous mes regards, il y avait la mort. La patrie était mon supplice et la maison paternelle un étrange malheur. Tout ce que j'avais eu en commun avec lui se retournait sans lui en torture monstrueuse. Mes yeux le réclamaient partout et on ne me le donnait pas.» Ou encore, ce passage éclatant de la nouvelle traduction, où Augustin, au Livre X, s'adressant à Dieu, s'exprime sur la finalité de ses aveux, auxquels il veut donner une valeur exemplaire, prenant ses frères chrétiens à témoin: «Le bénéfice de mes aveux, ce n'est pas ce que j'ai été mais ce que je suis. Je fais non seulement mes aveux devant toi, avec une secrète exultation mêlée de tremblement, avec un secret chagrin mêlé d'espérance, mais également aux oreilles de l'humanité croyante, complice de ma joie, partageant notre communauté mortelle, mes concitoyens, mes compagnons de voyage, avant moi ou après moi, les compagnons de ma vie. Tes esclaves, mes frères.» Paroles fulgurantes que d'anciennes traductions émoussent sous des circonlocutions habiles, mais académiques. On aimerait citer encore et encore, tant ce texte s'impose dans son évidente clarté, comme neuf, jailli de la spontanéité créatrice de son auteur, qui n'était alors qu'Augustin d'Hippone: la mort de sa mère, ses réflexions célébrissimes sur le temps et la mémoire, sa conversion bien sûr, les récits de son passé débauché, son commentaire de la Genèse au Livre XII... Comme l'indiquait avec justesse Paul Ricoeur, le dernier en date des grands lecteurs interprètes de saint Augustin, ce qui est inaugural chez ce dernier, ce n'est pas tant le genre littéraire de la confession faite à la première personne que le fait même de partir en quête de son intériorité. Il le dit à propos du lien qu'Augustin établit entre le temps, la mémoire et l'identité personnelle: chez Augustin, dit-il avec profondeur, pas de mémoire hors d'une quête douloureuse d'intériorité. On pourrait aussi ajouter qu'en inaugurant «la tradition du regard intérieur» Augustin a simultanément inventé une nouvelle exigence qui va structurer le récit autobiographique comme le beau structure l'esthétique: la sincérité, ou la véracité, cette exigence d'être adéquat à soi-même, exigence bien différente du fameux «Connais-toi toi-même» de Socrate. Saint Augustin, on le sait, est une source inépuisable de réflexion philosophique, de méditation existentielle, de questionnement religieux. C'est pourquoi il faut être infiniment reconnaissant à Frédéric Boyer de nous restituer son texte dans la force vivante qui l'a fait surgir bien avant que son auteur ne fût Saint, Père ou Docteur - toutes choses qu'il devint et qui, jusqu'à aujourd'hui, l'avaient comme momifié.