Littérature & Fiction / Littérature traduite / Littérature anglo-saxonne / Littérature américaine
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Chester Himes

Cercueil et fossoyeur

Éditeur
Quarto
Année
2007
Nombre de pages
1355
Format
grand format
État
d'occasion, très bon
Ean
9782070785162
Présentation

De toutes les nécropoles littéraires, la collection Quarto est la plus accueillante - simple mais soignée, modeste et coquette. Alors qu'au cimetière de la Pléiade les géants des lettres sont ensevelis sous de protubérants appareils critiques, régals notoires des pervers glosophiles, les gisants de Quarto sont présentés aux familles tout nus. Peu ou pas d'annotations, mise en page limpide et légère, dans l'esprit cinglant du Cioran des Syllogismes de l'amertume: «Tout commentaire d'une oeuvre est mauvais ou inutile, car tout ce qui n'est pas direct est nul.» Démonstration éclairante avec le dernier caveau du mausolée Quarto, non loin de ceux dédiés à Jack Kerouac et Jean-Patrick Manchette. La page tombale en noir-blanc-rouge est admirable: Chester Himes (l'auteur), Cercueil et Fossoyeur (le titre). Et surtout le magnifique dessin (non crédité) d'une opulente femme rouge et qui bouge, sans doute sur un air de be-bop. Tout est ainsi dit, montré, de la violence et de la sensuelle truculence d'un écrivain noir dont l'oeuvre est un apport majeur non seulement au polar, mais à l'histoire sociale des Etats-Unis de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1960. Héros de huit romans regroupés sous le label du Cycle de Harlem, Ed Cercueil et Fossoyeur Jones sont deux flics noirs à la gâchette un peu trop facile qui opèrent dans un ghetto devenu mythique. De La Reine des pommes (1957) à L'Aveugle au pistolet (1969), une extraordinaire épopée pittoresque et burlesque, un foisonnement de gangsters, charlatans, dealers, tapineuses, prophètes, gogos, poivrots et maquereaux. En tant que policiers, Cercueil et Fossoyeur sont des agents doubles, avec un pied dans chaque camp. Leur mission est résumée ainsi par Fossoyeur dans Il pleut des coups durs: «Si vous, les Blancs, vous vous obstinez à venir à Harlem où, par votre faute, les Noirs sont obligés de vivre dans la crasse et la dépravation, il est de mon devoir de veiller à votre sécurité.» Mais les deux hommes, tout en prélevant leur tribut, «comme tout flic qui se respecte, auprès des fournisseurs de la pègre», se servent aussi de la loi pour protéger les Noirs contre toutes sortes de prédateurs et les empêcher de «se bouffer entre eux». «Pour jouer du jazz, il faut avoir souffert», disait Lester Young, cité par Chester Himes dans Harlem ou le cancer de l'Amérique, mordante préface à ce recueil. La légende est connue. Né en 1909, Himes a commencé à écrire dans un pénitencier de l'Ohio où il purgeait une peine de sept ans pour vol à main armée. Son premier roman, S'il braille, lâche-le, reçoit un accueil mitigé de critiques déroutés par sa virulente dénonciation de la bonne conscience de l'Amérique blanche. L'échec subséquent de l'excellente Croisade de Lee Gordon l'incite à s'expatrier en France, où Marcel Duhamel lui propose d'écrire des thrillers pour la Série Noire. Himes hésite, ne se sent pas capable d'inventer une intrigue. «Vous avez le décor, des personnages pittoresques, rétorque Duhamel. Partez d'un simple fait divers, d'une scène de poste de police.» Quinze jours plus tard, Himes lui amène le premier jet de La Reine des pommes. Contrat, champagne! Violence extrême, humour ravageur et rebondissements picaresques font de la saga une grinçante comédie humaine, qu'on voit évoluer vers un pessimisme de plus en plus radical. Si le thème de l'arnaque est omniprésent dans la série, il n'affecte dans le premier roman qu'un seul personnage, Jackson, gogo superstar, alors que dans L'Aveugle au pistolet c'est toute la communauté noire qui sombre dans l'émeute par la faute de gourous allumés prônant retour en Afrique, islam rédempteur ou Black Power. Malcolm X, Martin Luther King et Bobby Kennedy ont été assassinés. Les espoirs nés du mouvement des droits civiques ont été amèrement déçus. Forme de requiem aux années 1960, le Cycle de Harlem frappe à la relecture par sa féroce lucidité, très proche en fait des comics underground d'un Robert Crumb. Décédé en 1984, Chester Himes n'est pas sans postérité. Son cadet Jake Lamar, également expatrié, a prolongé ses visions avec l'incandescent Nous avions un rêve (1996). Mais la truculence de Chester Himes reste inimitable, avec sa manière gouailleuse de croquer l'absurdité des Noirs de son pays, victimes du racisme mais aussi de leur propre inculture. «Rien n'est plus amusant qu'un nègre absurde», aimait dire Himes, qui concevait le métier d'écrivain comme «une tentative pour révéler l'absurdité de la vie».

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