Littérature & Fiction / Littérature traduite / Littérature d'Europe de l'Est
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Sandor Marai

LIBERATION

Année
2009
Nombre de pages
185
Format
poche
État
d'occasion, très bon
Ean
9782253126492
Présentation

Sandor Marai est le plus proustien des écrivains hongrois. Son oeuvre mélancolique est taillée comme un cristal où scintillent les reflets du temps perdu, sous les dômes flamboyants de la Mitteleuropa. Dans son pays, l'auteur des Confessions d'un bourgeois fut littéralement adulé tout au long des années 1930 puis il tira sa révérence, en 1948, et se réfugia en Californie où il s'est suicidé en 1989. Dans ses Mémoires de Hongrie (disponibles au Livre de Poche), Marai a raconté son calvaire d'écrivain en disgrâce pendant les trois années de plomb où il dut supporter la férule soviétique: antifasciste avant la guerre, «ennemi de classe» à l'époque communiste, il décrit dans ce journal la lente décomposition spirituelle de sa patrie, la terreur policière, la soumission collective, l'impuissance des intellectuels face à l'hydre rouge, jusqu'à ce que les procès staliniens le contraignent à l'exil. Avec Libération, un titre cruellement ironique, Sandor Marai abandonne son registre favori - la peinture de la bourgeoisie hongroise de l'entre-deux-guerres - pour signer un roman historique dont il a lui-même vécu les tragiques épisodes: écrit sur le vif en deux mois, le récit est consacré au siège et à la libération de Budapest par les troupes russes, au printemps 1945. Une libération qui allait prendre le visage de la plus terrible des tyrannies. Elisabeth Sos se cache dans la capitale hongroise, avec de faux papiers. La nuit, elle quitte son abri du centre-ville, traverse la rue transformée en champ de bataille, et va réconforter un homme qui - avec six compagnons - se terre dans une cave étroite et entièrement murée. Cet homme, c'est son père, un astronome que recherchent les policiers allemands et leurs alliés fascistes de Budapest. Les Russes ont beau avancer au coeur de la ville, les nazis continuent à traquer les Juifs et les résistants dans le chaos des bombardements. Quartier par quartier, immeuble par immeuble, les rafles et les exécutions sommaires se succèdent, tandis que les souterrains servent de refuges à des milliers de rats humains. C'est cette double guerre - celle des rues et celle des sous-sols - que peint Sandor Marai, avec une précision hallucinante, dans un récit qui tient du reportage et - au sens propre - de la descente aux enfers, dans les entrailles putrides de la terre. «Compassion, entraide, tout sentiment élevé avait disparu. Chacun attendait la mort à tout instant, la bombe ou l'obus, ou encore cette aventure terrible que représentait le changement de régime, un bouleversement dont personne n'était capable de mesurer à l'avance les conséquences», écrit Sandor Marai avant d'évoquer les pillages, les lâchetés, les dénonciations, les trafics et bien sûr les persécutions antisémites qui, en quelques semaines apocalyptiques, transformèrent Budapest en une jungle sanglante, pendant que le reptile géant du Danube avalait les cadavres. Quant à l'héroïne de Sandor Marai, elle devra elle aussi se cacher au fond d'une cave ténébreuse. Une «cour des miracles», comme elle dit, où les classes sociales n'existent plus et où se retrouveront, pêle-mêle, un pompier, un professeur d'université, un serrurier tuberculeux, deux charbonniers, un danseur mondain. Et, agrippé à sa canne, un invalide qui reste mystérieusement silencieux mais qui, dans ce trou sinistre aux allures de catacombes, apportera un peu de lumière à Elisabeth. Il finira par lui sauver la vie avant qu'un soldat russe ne surgisse, tout aussi menaçant que les tortionnaires nazis... Il ne reste qu'un fleuve de sang - et quelques flocons de neige - à la fin de ce roman qui orchestre le naufrage d'une ville et d'un peuple en accumulant des portraits ciselés à la vitesse des bombes. Quand il écrivit Libération, entre juillet et août 1945, Sandor Marai ne savait pas que ces pages étaient tristement prémonitoires et qu'il allait, lui aussi, être prisonnier des ombres: bientôt chassé de sa patrie par ceux-là mêmes qui avaient prétendu la libérer, puis boudé jusqu'à sa mort par les lecteurs hongrois, l'écrivain vécut son exil comme un reclus. Enfermé dans les caves de l'oubli.

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