Littérature & Fiction / Littérature traduite / Littérature africaine
14.00CHF

Wole Soyinka

IL TE FAUT PARTIR A L'AUBE

Éditeur
Actes Sud
Année
2007
Nombre de pages
649
Format
grand format
État
d'occasion, très bon
Ean
9782742770335
Présentation

Même s'il a blanchi sous le harnais, le tigre Soyinka reste l'un des écrivains les plus remuants d'Afrique. A cette Afrique-là, il a offert un Nobel de littérature - en 1986 - et elle lui a répondu en lui montrant le gibet: il a bien failli en être la victime, comme Ken Saro-Wiwa, pendu le 10 novembre 1995. A l'époque, Soyinka avait été accusé de «haute trahison» par un tribunal de Lagos, mais il avait eu le temps de passer clandestinement la frontière pour prendre le chemin de l'exil - il allait durer quatre ans, jusqu'à la mort, en 1998, de Sani Abacha, le sinistre dictateur en treillis. Les démêlés du dissident nigérian avec les dirigeants de son pays relèvent d'un polar de John Le Carré. Et, finalement, c'est Soyinka qui a gagné la partie, avec panache. Aujourd'hui, l'Afrique tout entière s'exprime à travers sa voix: l'auteur de Cet Homme est mort (récit de ses deux années de prison pendant la guerre du Biafra) est à la fois la conscience et l'emblème politique d'un continent dont il chante comme personne la fureur et la beauté. Son oeuvre, en effet, s'enracine superbement dans la terre et dans les mythes africains. Pour «jazzer» la mémoire collective, reconquérir l'identité, rallumer le feu de la parole ancestrale. Dans Aké, le premier volume de son autobiographie, Soyinka ressuscitait son enfance miraculeuse en pays yoruba. Puis, avec Ibadan, il resserrait le zoom de son autoportrait tout en faisant la chronique douce-amère des «années pagaille» - de 1946 à 1965 -, lorsque le Nigeria passa du colonialisme à l'espoir, et de l'espoir à la servitude. Il te faut partir à l'aube est le troisième volet, tout aussi grinçant, des Mémoires de Soyinka. Le livre s'ouvre au moment où, traqué par la police, il dut improviser le plus douloureux des exils. «L'année 1994, écrit-il, s'achevait sur l'instauration du régime brutal de Sani Abacha et le flot des dissidents prenant la route de l'exode avait commencé de grossir.» Pour conjurer ces tristes souvenirs, Soyinka explique alors que son âme rebelle a toujours été protégée par le fier Ogun, le dieu combattant, et il rappelle la maxime qui lui sert d'«impératif catégorique»: «La justice est la première condition de l'humanité.» Et puis, à bâtons rompus, Soyinka remonte le temps. Il se souvient de l'époque où, étudiant en Angleterre au mitan des années 1950, il subissait les affronts de jeunes Britanniques racistes, incultes et «incapables de placer l'Afrique sur une carte du monde». Soyinka consacre aussi des pages nostalgiques à ses croisades en faveur du théâtre, avant le premier coup d'état militaire de janvier 1966. Il allait alors entrer dans la clandestinité et se retrouver derrière les barreaux, pendant vingt-huit mois. «Bien qu'il figure au plus bas de la hiérarchie des mondes, le régime cellulaire est un état où l'on se crée un univers microcosmique», poursuit Soyinka, qui brosse un tableau terrible du Nigeria de ces années-là, «un pays qui mangeait sans se plaindre dans l'auge de l'humiliation». Il te faut partir à l'aube revient également sur les quatre années d'exil de Soyinka, lorsqu'il frappait aux portes des puissants pour les supplier de secourir l'Afrique mutilée. Il en a rencontré une belle brochette, entre l'Amérique et l'Europe, tout au long de sa vie de mousquetaire des droits de l'homme. Cela nous vaut des portraits croustillants. Celui de Mitterrand, par exemple. «Il recevait ses invités avec un visage de bois, raconte le Nobel. Tandis que nous nous serrions la main, je lui sortis quelques phrases en un français impeccable. Il ne m'accorda même pas un battement de paupière. Me regarda-t-il même dans les yeux? Non, c'était une présence momifiée qui paraissait avoir été installée là dans le seul but de contempler à travers mon épaule je ne sais quel chapitre d'une histoire visible de lui seul.» Autre morceau de bravoure, les pages où Soyinka évoque sa panique devant les micros des journalistes, à Paris, lorsqu'il apprit qu'il avait reçu le Nobel. Restent l'amertume, les longues digressions sur l'éternelle tyrannie africaine, mais aussi cette énergie visionnaire que Soyinka a toujours puisée dans la terre où il est né. Elle l'a rendu indomptable. Son autoportrait est celui d'un homme libre.